Par un matin glacial d’un dimanche 1er décembre, nous démarrions, emmitouflés, la montée d’un versant nord boisé de « presque Ardèche », dans une ambiance aussi humide que gelée. Les pentes sombres émergeaient tout juste d’un gros brouillard nocturne qui s’égouttait fraîchement. Dans cette terre froide peu accueillante, les herbes blanches tétanisées par le givre craquaient sous nos pas, et les flaques paralysées par la glace attendaient nos coups de semelle pour exploser.
Après cette première impression hivernale, la nature peu à peu se détendit et se réchauffa au fur et à mesure que nous nous élevions en nous rapprochant du soleil. Bientôt, une étonnante douceur allait envelopper cette nature authentique, jamais interrompue par le moindre brin de vent. La nuit portant conseil, je m’étais laissée guidée par l’intuition qu’il valait mieux décaler légèrement vers l’est le circuit de randonnée afin de bénéficier d’un meilleur ensoleillement et surtout de grands espaces de liberté, ouverts, aérés, laissés par les immenses prairies visibles sur la carte, plutôt que franchir les pentes froides du versant nord.
Annonay est flanquée en Ardèche tandis que Bourg-Argental émarge au département de la Loire. Entre les deux, mon cœur avait choisi cet espace inconnu de l’extrémité sud du Parc du Pilat, résolument tournée vers l’Ardèche du nord. Aucun doute : diversité et surtout générosité des paysages, surfaces boisées accueillant une alternance de feuillus et de résineux aux multiples variétés (châtaigniers, hêtres, chênes, pins…) que trahissent en cette saison les tapis de feuilles et de cosses. Dans ce petit espace, un long ruisseau taille son thalweg du sud au nord comme une raie au milieu d’une chevelure, avec une régularité de pente imperturbable, dans une magnifique forêt : le Ruisseau de la Faye, que nous avons traversé à deux reprises.
Le départ un peu tardif de notre randonnée et les longs chemins du matin retardèrent l’heure du déjeuner, mais quelle surprise et quelle récompense à l’arrivée pour le pique-nique ! Une ligne panoramique nord-sud fabuleuse nous présenta toute la chaîne des Alpes, inattendue, nous laissant béats d’admiration. Le Mont-Blanc en majesté se détachait au nord, tandis qu’au sud les Trois Becs du Diois sortait d’une mer de nuages étirée depuis le Vercors comme un voile de mariée. La pyramide du Grand Veymont avait revêtu son chapeau blanc, toute la Vanoise affichait fièrement sa blancheur, et peut-être une Meije pointait au loin son nez vers le ciel ? Si les sommets étaient bien trop loin pour tous les nommer, le fait est qu'un tel panorama aussi étendu et à une telle distance est plutôt rare ; il fallait tomber sur le bon jour, que quelques chutes de neige automnales avaient précédé.
Ce belvédère peu connu se nomme « La Cartara », à 1000 mètres d’altitude, au-dessus de deux villages superbes, Montchal et Burdignes. Le premier se fait remarquer par sa tour médiévale en ruine, au sommet d'une butte, et par sa maison au linteau gravé de l’année 1744 ; le deuxième abrite un gîte et une ferme-auberge avenants qui invitent à la revoyure. *
Du temps où l’on allait à l’école, l’on apprenait que le Massif central et le Massif armoricain se ressemblent. Cette vieille leçon de géographie n’est pas désuète : de la maison du XVIIIe siècle que nous venons de citer, il est frappant de constater sa ressemblance avec les maisons bretonnes : robustesse granitique et linteaux massifs au-dessus des portes et fenêtres. Sur les chemins, la roche dure granitique ou volcanique si caractéristique du Massif central se marie bien avec les genêts qui fleurissent au printemps, comme sur la lande bretonne, dans cette harmonie entre géologie et milieux naturels. Ces territoires sauvages gardent leur mystère et leur beauté naturelle que seul sait apprécier le visiteur en quête de tranquilité et de charme campagnard tout autant que d’horizons lointains.
Brigitte B.
photos Noura, Nathalie, Brigitte
Rando 17 km, 700m D+
*https://fermeauberge-linossier.com/
A noter aussi les fromages locaux, bio : https://www.burdignes.com/auvillage/ferme-du-chant-des-cloches/
Au loin, le Mont-Blanc depuis le belvédère de La Cartara
Une maison de 1744 à Montchal (42)
Accueil à la ferme auberge du village de Burdignes
Grands espaces ouverts vers la montagne, au hameau de Montchal (42)
Le Ruisseau de la Faye près de La Cartara (42) enchante une superbe forêt alternant feuillus et résineux, comme le confirme la légende de la carte
Témoin de la géologie granitique et de la lande, comparable à la Bretagne. Au loin, la chaîne des Alpes jusqu'aux Trois Becs. (Belvédère de La Cartara)
Généreuses prairies dans la montagne, séparées par des murs de pierre sèche (Montchal, 42)
