Ah ces clôtures de barbelés !

Le 18.04.2023, par BrigitteB-97f


Elles sont l’ennemi des randonneurs, celles qui les prive de leur liberté d’aller là où ils veulent, là où des chemins cartographiés auraient envie de les guider, hors des sentiers battus. Et pourtant elles sont bien nécessaires à tous ces propriétaires de terres et forêts privées dans leurs désirs légitimes non seulement de préserver leurs biens, mais aussi, sans distinction des saisons, d’anticiper l’été et se prémunir d’éventuels feux de forêts occasionnés par des « étrangers » indésirables… - ceux que nous pourrions être - ou tout simplement protéger ces intrus si jamais un feu devait se produire.

Ce jour de randonnée dans le Vercors du côté de Presles, fraîche journée d’avril bien loin de la canicule estivale, on aurait pu les maudire ces pancartes d’interdiction et leurs clôtures de barbelés fermées à triple tour – trois lignes de hauteur, si jamais on n’avait pas compris ! Lorsqu’il n’existe pas d’alternatives de sentiers à l’endroit précis où l’on se trouve, un chemin clôturé peut bouleverser un itinéraire. C’est un peu ce qui nous arriva ; toutefois ces clôtures furent pour nous sources d’apprentissage à plusieurs points de vue.

Première surprise, le sentier emprunté se poursuivant à l’intérieur d’une clôture, donc passant d’une zone publique à une zone privée, la clôture nous apprit à développer des stratégies de contournement et donc revoir de façon impromptue notre itinéraire. Puis à bien nous orienter et relire la carte autrement que celle que nous avions initialement lue.

L’itinéraire préparé s’était pourtant inspiré, en les mettant bout à bout, de circuits existant dans la littérature pour randonneurs aguerris – littérature aussi pléthorique qu’hétérogène. Fichtre ! il faut croire que leurs auteurs, plus discrets que notre troupeau de 15 bipèdes, se seraient affranchi des règles en franchissant discrètement les obstacles (c’est si tentant), ou bien les clôtures auraient été renforcées et mises à jour ces derniers temps ?

Systématiquement à chaque séance de cartographie, je rappelle à quel point les innombrables réseaux de sentiers noirs continus et noirs pointillés dessinés sur les cartes IGN, non surlignés de couleur, ne laissent aucune information sur leur appartenance privée ou publique. A nous de le savoir, ou de l’expérimenter sur place*, ou bien de nous priver de ces chemins en nous contentant de suivre "bêtement" les pistes surlignées de couleur par l’IGN. Travail prémâché pas très original et demandant moins de temps de préparation. N’est-ce pas plus amusant d’explorer et vivre de sympathiques aventures… en toute sécurité bien sûr ?

A notre avantage, les premières clôtures nous ont permis de choisir de monter sur les crêtes et parcourir la partie la plus facile de la Crête des Blaches descendant du sommet de Serre Cocu. De là-haut, le sentier offre des points de vue certainement exceptionnels sans le brouillard et les nuages persistants qui furent notre décor de la journée.  

Petit cours toponymique au passage : « Serre » dans les massifs plutôt méridionaux signifie montagne allongée, et souvent alignement de sommets en crêtes étroites. Le Vercors regorge de ‘serres’, tout comme l’Espagne regorge de ‘sierras’.

Le temps passe, midi a sonné, il fait froid et venteux, les plus affamés grignotent en attendant le repas. Par chance, la suite du parcours nous ouvre une immense porte sans barbelés, et une très large clairière en pente douce presque sommitale, jonchée de troncs d’arbres et de restes de lapiaz épars, offre aux pique-niqueurs une salle à manger idéale avec vue sur La Grande Cournouse, agrémentée de timides mais chaudes apparitions du soleil.

Enfin, après contournement d’autres barbelés, nous réussissons à atteindre le GR du Tour des Coulmes, du nom de la célèbre forêt - morceau de GR inclus dans notre circuit initial. Pour effectuer un peu de dénivelé dans notre improvisation, nous empruntons une large sente qui ressemble à une ancienne zone de coupe d’arbres ; la sente bien raide en pleine pente fait la joie des trailers du groupe, et des vieux montagnards en bonne forme physique. Mais voilà qu’aux deux tiers de la hauteur et contrairement au tracé cartographique, les traces du sentier disparaissent  ; la nature a donc repris ses droits, ce sentier sur carte s’avère non fiable dans sa partie terminale, sur les 50 à 70m de dénivelée restante, une mise à jour IGN/Iphigénie/ Geoportail serait utile. Ce secteur se nomme « La Trompe », véritable tromperie pour randonneurs – ne nous laissons pas duper ! Nous voilà face à un nouveau double défi, celui de l’orientation (nous tirons un peu trop à gauche) et d’exercices acrobatiques pour franchir des zones où s’entremêlent hêtres et petits blocs de lapiaz recouverts d’un léger tapis de neige. Exercices de souplesse… nous les sentirons à la fin de la journée. Les chaussures commencent à prendre l’humidité. Après s’être frayés un chemin au milieu de la hêtraie touffue, nous atteignons enfin notre objectif, un morceau du GR9 qui à nouveau facilite la marche et devrait nous ramener à bon port.

Il a neigé plusieurs centimètres à 1200 m d’altitude, et surtout la froide forêt des Coulmes a bien conservé cette neige tombée lors des dernières 48 heures. Il n’est pas étonnant que cette forêt abrite, en hiver, un site de ski de fond.

Forêt des Coulmes vers 1250m, avril 2023

Mais voilà que l’aventure n’est pas terminée puisque, sur le chemin de descente, distraits par nos discussions, nous loupons probablement une marque de balisage à un croisement de sentiers - ce qui nous permet encore d’improviser parmi les nombreux sentiers autorisés (traduction : sans clôtures).

Nous arrivons à un très joli hameau « La Citerne » aux fermes anciennes de pierres blanches de calcaire dans un environnement sauvage loin du monde et de la civilisation. Une petite route puis un sentier balisé (oui oui !) nous ramène à la Croix Sappey où nous avions garé nos voitures le matin dans le brouillard, 1 km avant le hameau de Presles réputé pour son site d’escalade.

La journée nous a permis d’expérimenter aussi un moment rare dans nos grands groupes de randonneurs : au milieu de la forêt des Coulmes aux allures primitives, avec ses branches d'arbres très moussues et ses lapiaz vert mousse absolument magiques, nous avons observé pendant 12 minutes un silence absolu tout en poursuivant notre chemin. Belle réussite à 15. C’est à ce moment-là que nous avons croisé l’unique randonneur de la journée circulant en sens inverse, impressionné par ce qui ressemblait à une procession funèbre. Mais non, nous écoutions respectueusement les oiseaux chanter. Expérience agréable à renouveler.

Nous avons aussi voulu réviser notre géologie, nous étions assez proches de la vérité. Voilà ce que nous dit le Parc naturel régional du Vercors (https://parc-du-vercors.fr/geologie) : Premier acte : la sédimentation. Il y a environ 200 millions d'années (Crétacé, époque des dinosaures), une mer immense couvre tout le domaine des Alpes actuelles. Le Vercors se trouve alors en gestation au fond de cette mer, subissant en fin de cet acte un climat doux permettant à la vie marine de proliférer (coraux, plancton...)

D’où l’existence de fossiles de bivalves, gastéropodes etc… dans le Vercors.  Nous avons rappelé qu’à Rencurel, village très proche de Presles, il existe un site fossilifère, les Rimets, visité en 2022 :

Oursins et bivalves au site fossilifère des Rimets, Rencurel, Vercors

Gastéropode aux Rimets, Rencurel, Vercors

Profitons-en pour rappeler la formation de lapiaz, dûe au ruissellement des pluies acides dans la roche calcaire :

 

Formation des lapiaz (site Les Rimets, Rencurel, Vercors)

  

Lapiaz des Rimets, Rencurel, Vercors

Avant que notre parenthèse géologique ne se referme, vous trouverez tous les âges géologiques sur la « charte stratigraphique » internationale, mise à jour à peu près tous les deux ans par les chercheurs géologues du monde entier – la seule référence mondiale valide (anglais / français) :

https://stratigraphy.org/ICSchart/ChronostratChart2022-02French.pdf

https://stratigraphy.org/ICSchart/ChronostratChart2022-02.pdf

Le Crétacé (-145 à -72 millions d’années) succède au Jurassique (-200 à -145 millions d’années). Donc le Parc du Vercors cité plus haut aurait dû mentionner le Jurassique en priorité au Crétacé.

 

Après cette randonnée de Presles avec ses clôtures de barbelés, le retour en voiture se fait par la route somptueuse et pittoresque de Presles à Pont-en-Royans qui domine la Bourne, parmi les plus belles routes du Vercors à recommander absolument (4 étoiles), tout comme la visite du village renommé de Pont-en-Royans, si calme en ce dimanche de temps frais. D’habitude à Pont-en-Royans on déguste des glaces ; cette fois, le chocolat chaud est bienvenu, autour de nos comptes rituels et non moins pittoresques de covoiturage.

Brigitte

 

* S'agissant de distinguer sur la carte les chemins privés des chemins publics, on peut aussi faire des sorties de reconnaissance du terrain avec des bénévoles du club pour partager le temps et les frais de préparation d’une randonnée. Manifestez-vous si vous préférez la perfection aux petites aventures.

 


 

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