Chapitre 4 : Les bananes dans le Thabor
Notre dernier weekend dans le Dévoluy avait été un succès malgré le but météorologique qu'on s'était pris le dimanche matin. Pour ce nouvel épisode dans le Thabor, la météo s'annonçait une nouvelle fois compliquée. Une semaine avant le départ nous étions inquiets. Les jours passaient et les prévisions météo ne s'arrangeaient guère. Chaque jour nous nous posions la question si cela vaudrait vraiment le coup de sortir. Devions nous maintenir notre réservation au refuge des terres rouges ou serait-il plus sage de l'annuler. Certains disent : « Qui regarde la météo, reste au bistro ! ». Je veux bien écouter ce proverbe pour aller au marché mais pour aller en montagne quand même il y a de quoi passer un sacré mauvais weekend. Nonobstant ce proverbe, nous vérifions la météo quinze fois par jour. Qu'était-il annoncé d'ailleurs pour en faire tout un fromage ?
Le samedi matin, il devait faire très chaud avec une nouvelle fois dans l'hiver un isotherme 0° stratosphérique. Dans l'après-midi, ce dernier devait brutalement chuter avant l'arrivée d'une faible perturbation neigeuse accompagnée d'un coup de vent dans la nuit de samedi à dimanche. L'enneigement était bon en altitude mais bien déficitaire en dessous. L'idée était donc de partir dans la soupe en louvoyant sur les langues de neige dans l'espoir de ne pas avoir à déchausser avant d'arriver au refuge. Ensuite le vent froid devait nous cueillir. La soupe de la matinée n'aurait en théorie pas encore gelée nous laissant quand même espoir de skier correctement pour cette première journée. Le dimanche nous serions dans la tourmente sous des températures avoisinant les -10°C tout cela sur une neige béton tout juste saupoudrée des 3 flocons tombés dans la nuit. Il y avait de quoi nous décourager. Pourtant nous nous décidâmes Marine nous convainquit de quand même tenter le coup. Après tout ce serait son anniversaire, le weekend ne serait pas du grand ski mais ce serait un bon moment convivial.
Fred et Benoît ne pouvaient pas se joindre à nous. Il y avait de la place au refuge et dans le mini-bus, il aurait été dommage de n'en faire profiter personne. Romain en profita pour inviter une guest star, Toto, un redoublant des patates qui d'après sa réputation avait sacrément la patate. Nous l'appellerions Toto la patate.
Comme prévu, à notre arrivée sur le parking de Valmeinier, il faisait chaud. Encore ? Et oui, quel hiver printanier nous avions ! Nous débutâmes notre weekend sur les pistes de ski de la station. Nous étions d'humeur bavarde. On se la coulait douce sur la pente aussi douce que les températures du jour. Arrivés au croisement des deux itinéraires de montée au refuge, Toto nous indiqua qu'il valait mieux passer par le haut pour assurer un enneigement continu. Le groupe papotait sans l'écouter, nous partîmes par celui du bas. Il nous fallut déchausser et rechausser quelques fois pour parvenir au refuge. Quelle bande de bananes !
Il était l'heure du déjeuner. Le vent soufflait déjà et le ciel s'était couvert. On ne voyait plus notre objectif du jour, les couloirs Est du mont Thouvet. Et oui, nous n'étions pas seulement montés au refuge pour fêter l'anniversaire de Marine. Nous avions tout de même, quelques idées alpines derrière l'oreille. Nous poussâmes la porte du refuge où d'accueillants sièges de cinéma nous attendaient. On se laissa glisser dedans pour enlever nos chaussures. Quel confort ! Malheureusement pour nous aucune projection n'était prévue dans le sas d'entrée. Si nous voulions du cinéma, à nous de le réaliser dans l'après-midi. Lorsque nous entrâmes dans la salle à manger du refuge, nous y trouvâmes un gardien qui avait visiblement misé tout l'accueil dans ses fauteuils de cinéma. Il nous fit un accueil glacial sans décrocher le moindre mot. Décidément le Thabor semblait ne pas vouloir de nous.
Mika après une bonne séance
Une fois nos sandwichs engloutis, certains dont nous tairons les noms (Romain et moi) se laissèrent aller pour une petite sieste digestive. Pour ma part j'ai une excuse, je viens du Sud, un pays de Cocagne où la sieste est un art de vivre. La montagne ne voulait pas encore de nous à quoi bon s'obstiner ?
Trente minutes plus tard alors que certains étaient encore à la sieste, on voyait une éclaircie arriver par le nord. Marine sonna l'alarme « Branle-bas de combat, toutes les bananes sur le pont, tout le monde à son poste ». Les troupes s'agitèrent. On se bousculait pour enfiler ses bottes, boucler son casque et prendre ses armes. Quelques minutes plus tard, nous étions partis pour l'assaut du jour. Le mont Thouvet n'avait qu'à bien se tenir, les bananes étaient en route.
Patates et bananes à l'assaut du Mont Thouvet.
Le couloir était plein de boulettes regelées de veilles coulées. On voyait de grosses corniches à la sortie des couloirs. Nous nous décidâmes à sortir du couloir pour trouver un cheminement offrant une meilleur neige et une corniche de sortie plus aisée. La course cotée 4.2 était plutôt facile. Tout le groupe était en forme. Lorsque nous sortîmes de la corniche, le temps était maintenant parfaitement dégagé. Il faisait beau, il ne manquait plus que la neige eut été bonne pour que l'on ait pu désigner cette sortie de hold-up. Ce n'était pas le cas. A la descente, la neige était dure, sans surprise.
Qui regarde la météo reste au bistro !
En parlant de surprise, Toto nous en fit une. Ce coquin avait monté une bouteille de Champagne pour célébrer les 34 ans de Marine. Romain avait lui aussi quelque chose dans son sac, le cadeau d'anniversaire. Les bananes apportèrent joie et bonne humeur au refuge. On fit péter le champagne et on chanta à tue-tête un joyeux anniversaire à notre encadrante adorée.
Champagne shower, champagne shower ! I am seski and I know it...
Le lendemain matin, la météo avait tenu ses promesses. Il n'était rien tombé pendant la nuit et le blizzard soufflait. Le groupe était partagé entre rentrer directement au bercail ou partir pour une ascension aveugle et aveuglante dans la tourmente des pentes de Roche Noire. La majorité du groupe avait faim. Une faim de dénivelé, une faim de montagne, qu'il nous fallait assouvir. La meute se mis en route. Les températures avaient bien baissé. Le vent était fort. On avait froid. J'ouvrais la voie avec un bon rythme sans faire de pause. Le blizzard est peu propice à la contemplation. Plutôt que de laisser son âme sortir de soi et se perdre dans les paysages lointains, le blizzard incite l'âme à se terrer au fond de soi. Avec le blizzard on rentre la tête dans les épaules, on sert ses coudes et plisse les yeux. Pas après pas on se perd dans le blanc de soi.
Moi qui emmène le groupe voir le fond d'eux-mêmes
900m de divagations plus tard nous arrivâmes au col de mont froid. Tiens donc, c'est qu'il porte bien son nom celui-là. La tourmente était toujours là. Les peaux claquaient lorsque nous les décollâmes de nos skis. La visibilité était presque nulle, c'était jour blanc. Nous descendîmes à la queue leu leu. J'ouvrais toujours la voie. Avoir quelqu'un devant soi permet de mieux voir le relief quand la visibilité est mauvaise. J'avançais à tâtons de spatule et le reste du groupe suivait. A mi-parcours, la visibilité était meilleure, ce qui nous permit d'accélérer un peu.
Quelques minutes plus tard, nous nous réfugiions dans le refuge pour y casser la croute et nous réchauffer. Nous eûmes un nouveau coup de bol, le temps se dégageait à nouveau, la journée n'était pas finie. Sur le chemin du retour, le soleil brillait à nouveau et nous incitait à prolonger notre parcours avec un bonus de 400m de dénivelé supplémentaires.
Qui regarde la météo reste au bistro (bis repetita)
Arrivés à Valmeinier, nous tombâmes dans un guet-apens tendu par le soleil et des terrasses de café. Pris au piège, un gang de crêpes nous tomba dessus. Pour que les crêpes se mariassent bien avec les bananes, nous fîmes couler le Nutella. Le débriefing se fit la bouche pleine. Personne ne comprit personne, mais tout le monde se comprenait.