« La montagne bouge ! » et parfois le drame n’est pas loin ...

Le 14.10.2024, par BernardV-2ec


Cette fois, une chute de rocher a provoqué de graves blessures : quelle analyse en faire et comment limiter les conséquences de risques impossible à éliminer ?

LES FAITS


Le déroulement

C'est le week-end de clôture du groupe Jeunes Alpinistes Promotion : 3 « jeunes » encadrés par un initiateur alpi et un Guide de Haute Montagne. Au programme : courses AD+ dans la traversée Râteau-Meije-Pavé-Pic Gaspard.
La première cordée termine sa descente en rappel sur une plateforme rocheuse au niveau de la brèche, avant le ressaut final de la Pointe des Trifides ; les équipiers viennent de se réencorder pour poursuivre la progression.
Soudain la plateforme bascule, fait tomber deux membres de la cordée – impossible pour eux de se rattraper – une main est écrasée par l'un des nombreux blocs qui partent dans le même temps. Les deux membres sont retenus par le troisième équipier.
« Mes doigts » crie la victime, elle cherche à ramasser un bout de son doigt sectionné ; un des équipiers qui l'a rejoint s'en charge, avec calme et avec toutes les précautions d'hygiène et de conservation.
Un autre a sécurisé la corde coincée par le rocher : il doit couper un des brins, poser des friends, etc.
(en fin de ce chapitre : photo du rocher, après installation du relais)

La gestion de la situation d'accident

L'appel des secours immédiat a été impossible – pas de couverture réseau – le Guide a rejoint les premiers : il prend en charge la situation, lance l'alerte au Secours en Montagne avec sa radio VHF, installe un relais, remonte la victime en sécurité et prépare l'arrivée des secouristes.
La prise en charge par les secours professionnels est délicate : beaucoup de vent, 60 km/h et rafales, le médecin et le secouriste ont dû être d'abord déposés aux Ruillans. Vingt minutes difficiles d'attente de conditions favorables pour l'hélico, puis le blessé est conditionné et héliporté à l'hôpital de Briançon.
Le Guide assure le retour aux Ruillans du reste du groupe – cordée à quatre en mode « course clients » et plus en formation à l'autonomie – et prévient pour retarder la descente de la dernière benne.

Les conséquences

Pour la victime, chirurgie de bon pronostic, malgré la perte d'une phalange, trop délabrée et reconstruction du doigt sectionné, déficit de sensibilité non définitif.
La convalescence est conséquente : 5 mois d'arrêt de travail, rééducation intensive – kiné plus 4 à 6 h/j de travail personnel – , prise en charge du traumatisme psychologique.
La volonté et l'impatience de retrouver une vie quotidienne normale sont fortes, avec le projet de reprendre progressivement l'activité d'ici 6 mois. Et aussi, le sentiment d'être passé près de la mort – souvenir du rocher coincé au dessus de lui, stable ou pas ? Crainte de chute d'autres rochers – et des interrogations sur sa responsabilité : moyens d'alerte suffisants ? Fallait-il être en permanence, soit encordés, soit vachés ?
Après une première reprise de contact avec la montagne, il y a une appréhension face aux aléas et la résolution de ne plus s'engager dans des terrains possiblement instables. L'événement n'est pas neutre non plus pour les autres équipiers, bien qu'indemnes. L'un a vu le rocher lui passer entre les jambes et est parti face au vide ; cela a ravivé le souvenir d'une chute sévère en course de rocher récente.
Pour d'autres, peur qu'il y ait d'autres blessés et pour tous, stress lié à la gravité des blessures de leur camarade.
Reste aussi un sentiment d'impuissance face aux aléas : selon les situations et les individus ; par exemple, amène l'un à être plus alerté qu'avant, ou un autre à renoncer à emmener une personne peu expérimentée.
Avec toujours l'envie de pratiquer.

Rocher après installation du relai

L'ANALYSE


Les conditions de terrain

Il s'agit d'un terrain rocheux sain, dans un itinéraire classique et fréquemment parcouru. Les rochers ne sont pas délités et rien ne laisse présager des chutes possibles de blocs rocheux conséquents.

L'itinéraire et la prise de décisions

L'analyse, y compris l'expertise des professionnels, GHM et gendarmes du PGHM de Briançon, montre l'absence d'erreurs dans le choix de l'itinéraire et les comportements collectifs et individuels.
Les techniques mises en œuvre – avec l'équipement adéquat – sont conformes aux pratiques habituelles dans cette course et dans cette situation : fin de rappel sur un sol stable, n'imposant pas la pose de protections et sans risque objectif perceptible.

Les comportements dans la situation post-accident

A noter, les équipiers ont tous agi avec calme et sang froid, pour une sécurisation immédiate efficace, d'eux-mêmes et du blessé. Par la suite, le professionnalisme du Guide a permis une organisation du secours et un retour en vallée dans les meilleures conditions.

Les hypothèses quant à la chute du rocher

Aucune cause extérieure n'est relevée : aucun des membres du groupe n'a pu, directement ou indirectement, déstabiliser le rocher et il n'y avait pas d'autres pratiquants à proximité. Les hypothèses avancées prudemment sont que le rocher était « calé » par de grosses pierres sur un terrain moraineux, jusqu'à ce que l'équilibre soit rompu suite aux fortes pluies les jours précédant la sortie : elles auraient lessivé le sol.

LES ENSEIGNEMENTS

Il s'agit dans ce cas de réfléchir à ce qui peut permettre de limiter les conséquences de ce type d'aléa – sans pouvoir l'éliminer ou le prévenir. Et de considérer que l'accident aurait pu être beaucoup plus dramatique : 30 secondes avant la chute du rocher, les équipiers n'étaient pas encordés !

Quatre axes de réflexions sont dégagés

Comment être en permanence « attaché à la montagne » ?
Sachant qu'un aléa est toujours possible, comme le montre cette situation. Dans quelles conditions est-ce possible : aspects techniques, terrain (présence de becquets, possibilités de protection), équipement, ... ?
Et avec quels inconvénients (par exemple, ralentissement facteur de risque) ?

Quel choix de cordes les plus adaptées ?
Une corde utilisée à double apporte, comme ici, de la sécurité en terrain rocheux – risque qu'un brin soit coupé – ou lorsque les points sont « fragiles », et permet des forces de choc assez basses.
Reste la question du diamètre : les cordes fines (< 8 mm) ont l'attrait d'une grande légèreté, au prix d'un usage plus délicat, en assurage notamment et d'une sensibilité à l'abrasion (faible épaisseur de gaine) ; les multilabels (utilisées à double) seraient-elles la solution – diam. env. 9 mm – , entre confort d'usage et durabilité, malgré un poids plus élevé ?
Vaste sujet à discuter dans les commissions ad hoc en fonction des usages, peut-être en questionnant habitudes et préférences, pas toujours objectives.

Quels moyens d'alerte rapide et fiable ?
Évidemment, il n'y a pas systématiquement un professionnel compétent et équipé, comme dans ce cas ; une réflexion est nécessaire – dès la préparation – pour assurer l'autonomie du groupe en cas d'urgence, selon la zone prévue (présence de réseau GSM). Et de prévoir en conséquence les moyens alternatifs adaptés (radio VHF par ex.).
Sans oublier d'informer et former chaque membre du groupe, afin qu'il soit en mesure de passer seul un message d'alerte avec le matériel du groupe.

Conditions de retour en vallée sans sur-accident ?
D'une part, le rocher ne choisit pas s'il va tomber sur un encadrant ou sur un autre équipier ! D'autre part, il ne faut pas compter sur l'hélico pour redescendre tout le groupe. Hors présence d'un professionnel, il est nécessaire d'anticiper l'organisation du groupe et les capacités des participants indemnes à se mettre en sécurité (en situation de stress et d'horaire dégradé !) : nombre d'encadrants ; connaissance de l'itinéraire, des réchappes et replis possibles ; etc.

Cet accident invite chacun – y compris ceux qui pensaient ne jamais avoir d'accident – à l'humilité dans sa pratique en montagne.

Remarque : la FFCAM (présidence, CFA) a été informée de cet accident et n'a pas donné suite.

Bonnes courses d'alpi à tous, en sécurité

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Cet article fait partie de la rubrique REX/ Sécurité, destinée à diffuser les messages de prévention élaborés en fonction des retours d'expérience des adhérents dans nos différentes activités


 

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